samedi 20 avril 2024

Ni commencement ni fin (Jean 10,11-18, etc.)

Jean 10 :

11 «Je suis le bon berger: le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis.

 12 Le mercenaire, qui n'est pas vraiment un berger et à qui les brebis n'appartiennent pas, voit-il venir le loup, il abandonne les brebis et prend la fuite; et le loup s'en empare et les disperse.

 13 C'est qu'il est mercenaire et que peu lui importent les brebis.

 14 Je suis le bon berger, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent,

 15 comme mon Père me connaît et que je connais mon Père; et je me dessaisis de ma vie pour les brebis.

 16 J'ai d'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos et celles-là aussi, il faut que je les mène; elles écouteront ma voix et il y aura un seul troupeau et un seul berger.

 17 Le Père m'aime parce que je me dessaisis de ma vie pour la reprendre ensuite.

 18 Personne ne me l'enlève mais je m'en dessaisis de moi-même; j'ai le pouvoir de m'en dessaisir et j'ai le pouvoir de la reprendre: tel est le commandement que j'ai reçu de mon Père.»

 

Actes 4 :

8 Rempli d'Esprit Saint, Pierre leur dit alors:

 9 «Chefs du peuple et anciens, on nous somme aujourd'hui, pour avoir fait du bien à un infirme, de dire par quel moyen cet homme se trouve sauvé.

 10 Sachez-le donc, vous tous et tout le peuple d'Israël, c'est par le nom de Jésus Christ, le Nazôréen, crucifié par vous, ressuscité des morts par Dieu, c'est grâce à lui que cet homme se trouve là, devant vous, guéri.

 11 C'est lui, la pierre que vous, les bâtisseurs, aviez mise au rebut: elle est devenue la pierre angulaire.

 12 Il n'y a aucun salut ailleurs qu'en lui; car aucun autre nom sous le ciel n'est offert aux hommes, qui soit nécessaire à notre salut.»

 

1 Jean 3

1 Voyez de quel grand amour le Père nous a fait don, que nous soyons appelés enfants de Dieu; et nous le sommes! Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître: il n'a pas découvert Dieu.

 2 Mes bien-aimés, dès à présent nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que, lorsqu'il paraîtra, nous lui serons semblables, puisque nous le verrons tel qu'il est.

Prédication : 

            3 semaines après Pâques, je voudrais partager avec vous quelques questions, et quelques affirmations.

            Et voici la première de ces questions, 3 semaine après Pâques, Jésus est-il encore vivant ?

            Pourquoi cette première question ? Il y eut un petit gars qui s’appelait Gédéon, que Dieu bénit en l’envoyant chasser les ennemis du peuple de Dieu. Gédéon donc, avec une poignée d’hommes accomplit cette tâche puis rentra chez lui. Chez lui, il se fit faire un éphod, probablement une plaque de métal ciselée et gravée qui était exposée dans la ville de Gédéon, élément commémoratif des victoires engrangées. Mais qu’est-ce qui était vraiment commémoré ? La puissance de Dieu, ou la puissance de Gédéon ? Rien n’empêchait a priori que cet éphod soit édifié… mais quel usage en fut-il finalement fait ? On vint se prosterner. Gédéon était encore vivant que la réception de son ouvrage au service de Dieu fut déjà gâtée par ses contemporains. Et nous nous demandons si cela était fatal.

            Une deuxième question, avec un personnage qui nous est plus familier, Moïse. Quelques semaines à peine après la sortie d’Égypte, Moïse est-il encore vivant ? En tant que telle, c’est une question qui manque un peu d’audace. Alors comme nous avons été précédés par au moins un théologien audacieux (Gabriel Vahanian 1927-2012), nous mettons nos pas dans ses pas et nous nous interrogeons : Quelques semaines après la sortie d’Égypte, Dieu est-il encore vivant ? L’histoire, nous la connaissons, c’est un peuple qui trouve que son Dieu et son prophète ne sont pas à la hauteur des exigences du moment et qui les remplace par des trucs desquels ils exigent puissance et magnificence. Ni Dieu, ni Moïse n’ont plus voix au chapitre, c’est cela qu’on peut appeler mourir. Donc, quelques semaines après la sortie d’Égypte, Dieu est mort, et Moïse aussi. Un certains livre fut publié en 1961 dont le titre était The death of God. N’imaginez surtout pas le travail – ou l’absence de travail – d’un adolescent prétentieux. C’était le travail très sérieux d’un théologien français travaillant aux U.S.A et qui a travaillé sur l’idée que, si l’on voulait que évangile, foi chrétienne et autres signifie quelque chose plutôt que rien, il faudrait sérieusement raboter toutes sortes d’affirmations et toutes sortes de positions. Pour le dire comme aiment à le dire certains théologiens, pour que Dieu vive, il faut que Dieu meure.

            Il y eut de grosses grandes vagues autour de la sortie de ce livre. Et nous pouvons être étonnés de la violence des propos… comme si les plus critiques étaient les plus concernés. Dieu ne peut pas mourir. Évidemment.

           

            Mais comment cela va-t-il se produire ? Mourir ne pas mourir ? C’est un témoin de la prédication chrétienne qui est là, avec sa Bible, sa liturgie, sa Sainte Cène… et toutes ses activités de recueillement qui n’ont rien d’obsédant parce qu’elles n’ont rien d’une accusation. Et donc – travaillant sur ce thème – la question pourra être posée : combien de temps… combien de temps la bonne nouvelle peut-elle, ou va-t-elle rester une bonne nouvelle ?

            Ou encore, puisque nous l’avons lu, Combien de temps le Bon Berger va-t-il survivre en tant que bon berger avant que les méchants ne s’emparent de lui et ne mettent fin à son activité ?

            Et puis, puisque nous avons lu du Pierre, pendant combien de temps la libre parole de Pierre pourra-t-elle circuler avant que prise par la rapacité des gens, elle ne se fige et devienne brutalité.

 

            Autrement dit, et parce que la parole de Pierre est si puissamment liée à l’Esprit de Dieu, combien de temps faut-il pour que l’homme éteigne l’Esprit ?

 

            A ce moment de notre méditation, il nous faut tout jeter car l’homme a le pouvoir de tout éteindre. Ou il nous faut tout garder car nous somme en quelque manière gardiens de l’espérance.

            « Dans la mesure où nous laissons Jésus Christ venir et s’asseoir à notre table, à ce moment-là nous redécouvrons l’unité. Non pas, certes, celle que nous nous serions fabriquée par un regard maîtrisé sur notre vie et par lequel nous essaierions de lui donner une cohérence. Au contraire nous redécouvrirons comment, à travers les propres brisures et les échecs, à travers les propres brisures et les échecs, à travers sa parole et la fraction du pain que le Christ vient nous apporter, s’instaure en réalité une réalité intérieure et profonde dont nous ne comprenons le secret que lorsque, comme lui, nous disparaîtrons de ce monde pour entrer dans le cœur de l’invisible. »

            Voyez-vous, disparaître de ce monde pour entrer dans le cœur de l’invisible, ça se dit mourir. Le texte est beau, mais il y a un problème, de taille. Si ça n’est qu’à l’article de la mort, et juste après, que nous jouirons des bienfaits de Dieu, cela signifie que jusqu’avant, et donc tout de notre vivant, nous serons au régime sec, que notre foi aura des airs de désert, et rien à dire à personne.

 

            Et imaginez alors ce qui resterait de nos questions : combien de tems…? Elles n’auraient ni commencement ni fin. Et que nous resterait-il  pour croire, et pour la fraternité ?

            Disons-le : Dieu n’a ni commencement ni fin. Puis asseyons-nous, mangeons et discutons.

 

              


samedi 13 avril 2024

Du merveilleux et de l'Evangile (Luc 24,36-48)

Luc 24

36 Comme ils parlaient ainsi, Jésus fut présent au milieu d'eux et il leur dit: «La paix soit avec vous.»

 37 Effrayés et remplis de crainte, ils pensaient voir un esprit.

 38 Et il leur dit: «Quel est ce trouble et pourquoi ces objections s'élèvent-elles dans vos cœurs?

 39 Regardez mes mains et mes pieds: c'est bien moi. Touchez-moi, regardez; un esprit n'a ni chair, ni os, comme vous voyez que j'en ai.»

 40 À ces mots, il leur montra ses mains et ses pieds.

 41 Comme, sous l'effet de la joie, ils restaient encore incrédules et comme ils s'étonnaient, il leur dit: «Avez-vous ici de quoi manger?»

 42 Ils lui offrirent un morceau de poisson grillé.

 43 Il le prit et mangea sous leurs yeux.

 44 Puis il leur dit: «Voici les paroles que je vous ai adressées quand j'étais encore avec vous: il faut que s'accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.»

 45 Alors il leur ouvrit l'intelligence pour comprendre les Écritures,

 46 et il leur dit: «C'est comme il a été écrit: le Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour,

 47 et on prêchera en son nom la conversion et le pardon des péchés à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.

 48 C'est vous qui en êtes les témoins.

Prédication 

             Deux semaines après Pâques, nous voici de nouveau aux prises avec un récit d’apparition du ressuscité, avec composante alimentaire.

Le dimanche de Pâques de cette année, nous étions invités à méditer sur le récit que donne l’évangile de Marc dans sa version primitive. Marc, le plus ancien des évangiles, dans sa version primitive, ne comporte pas d’apparition du ressuscité, mais juste une proclamation de l’ange et un envoi en Galilée.

Plus tard, cet évangile fut retravaillé, et de nouveaux rédacteurs ont rajouté à la version primitive une apparition du ressuscité. Ce qui fait que, dans les quatre évangiles, le ressuscité apparaît.

Nous allons nous demander pourquoi ceux qui ont écrit ces évangiles ont tous éprouvé le besoin d’y introduire des apparitions du ressuscité. Nous nous intéresserons plus précisément à Luc.

      

Pourquoi donc les évangiles rapportent-ils des récits d’apparition du ressuscité ? La réponse la plus simple est que ces  apparitions ont bel et bien eu lieu et qu’elles prouvent bien la résurrection de Jésus de Nazareth. Cette réponse, qui a le mérite de la simplicité, n’est pas satisfaisante.

La résurrection de Jésus de Nazareth n’est pas un moment objectif de l’histoire de l’humanité mais le cœur de la prédication chrétienne. Ramener la résurrection de Jésus de Nazareth à n’être qu’un moment de l’histoire, cela revient à affadir terriblement le langage de la foi, et peut-être même à vider le langage de la foi de tout contenu possible. Car si l’on choisit de procéder ainsi, il faut procéder de même avec tous les autres éléments du récit, voire de la Bible. Dans le récit que nous lisons, celui de Luc, ces éléments sont au nombre de deux : Jésus soudain se tient là… et personne ne l’a vu arriver, comme un passe-muraille ; et plus fort encore, quelques verset plus loin, il est emporté au ciel.

 

Ce que je veux dire, c’est que si Luc, mais pas lui seulement, veut attester la véracité historique de la résurrection de Jésus de Nazareth, il s’y prend vraiment très mal. Ça n’est pas en multipliant les éléments fantastiques d’un récit qu’on le rend crédible. Sauf si l’on est un auteur dont l’intention est d’abêtir ses lecteurs... Et comme nous ne voulons pas faire outrage à l’inspiration de Luc, et des trois autres, nous laissons de côté l’interrogation la plus simple.

            Reste donc la question : pourquoi y a-t-il, dans les évangiles, des apparitions du ressuscité (et autres choses ?) Et j’ose une hypothèse : si Luc, et pas Luc seulement, introduit dans son évangile une – ou plusieurs – apparition du ressuscité, c’est pour faire face en son temps à une inflation galopante de récits d’apparitions du ressuscité. Il y en a eu des centaines, tous plus fantastiques, plus merveilleux, plus détaillés les uns que les autres, la croix elle-même sort du tombeau avec des gardes, plus autres sujets décapités. Et pour dire quoi ? Et pour porter quel message ? Devant des foules médusées… du spectacle, beaucoup de spectacle, mais rien qui nourrisse la méditation et la foi.

Les évangiles, s’agissant du fantastique, font le service minimum, pas de service. Ils en font un petit peu plus avec le merveilleux, quelques détails corporels, et mettent surtout en avant ce qui est tenu pour le cœur de l’enseignement permanent de Jésus. Ils procèdent ainsi, justement pour que les récits d’apparition, avec ce qu’ils ont de magique, voire d’aliénant, passent à l’arrière plan et que la parole de l’évangile soit placée, elle, au tout premier plan.

 

            Quel est cette parole, selon Luc ? Lisons – il suffit de lire – ceci : « …la conversion en vue du pardon des péchés, sera annoncée (au nom du Christ), à toutes les nations, à commencer par Jérusalem » Il n’y a rien de magique là-dedans. Cela sera annoncé. Par qui cela sera-t-il annoncé ? Par les disciples de Jésus, évidemment ! Personne d’autre à ce stade de la propagation du récit ne peut en être témoin ; personne, quoi que nous ne savons pas qui ont été les tout premiers témoins. Mais certainement pas témoin d’une apparition fantastique. Après la première génération, il n’y a plus de témoins directs, rien que des racontars, rien que des fragments. Aussi les disciples ne peuvent-ils pas être témoins de la résurrection pour l’avoir  vue de chez vue par une vie toute entière qui atteste d’une conversion en vue du pardon des péchés. Qu’est-ce à dire ? C’est assez simple encore.

 

On relit l’évangile. On y voit des disciples, de braves disciples, de braves gens, mais qui ne comprennent rien à l’enseignement de leur maître, qui cherchent à s’en tenir à la littéralité d’un texte et d’une paroles sacrés, qui espèrent s’imposer par la force, qui vont de fuite en fuite… et qui, lorsque le chemin devient par trop accidenté, s’endorment, renient et se débandent. Dans l’évangile on voit aussi un maître, Jésus de Nazareth, qui tâche d’enseigner, qui fait tout ce qu’il peut, guérit, nourrit, qu’on suit, voire qu’on idolâtre tant que ça n’est pas trop dangereux et qui finit tout seul abandonné, trahi, et mort.

Ce qu’on voit dans l’évangile : la grande bonté, la grande pureté souillées par la bêtise de pécheurs ordinaires.

Mais, dans l’évangile, et c’est pour Luc le cœur de sa Bonne Nouvelle, la grande bonté et la grande pureté ne peuvent pas être renvoyées au néant, même lorsque celui qui les a incarnées est mort de la manière la plus infâmante qui soit. En plus, ceux qui ont péché, souillé, trahi, ne peuvent pas être réduits à leur passé et ne sont pas condamnés par leurs actes ; le pardon de leurs péchés, c'est-à-dire leur libération, est l’horizon de leur possible conversion. Ce qui est, pour Luc, le cœur de la Bonne Nouvelle, et c’est premier par rapport à toutes les apparitions possibles du ressuscité.

 

C’est premier parce que c’est toujours actuel. Le lecteur de l’évangile, l’auditeur de la prédication chrétienne est invité à avoir une intelligence ouverte, disposée à comprendre les Écritures, disposé à dépasser la chose écrite pour entrer dans une lecture concrète, une interprétation incarnée de ce qu’elles expriment. Et ici, au moment où Luc conclut son récit, au moment où il résume tout en une ou deux phrases, il déclare pour toutes les générations qui viendront, il déclare pour nous que :

-       le pire de ce qu’un être humain a accompli ne le condamne pas à jamais, car se repentir est possible, changer est possible, grandir est possible ; le pécheur n’est pas voué au péché, et ce qui l’enchaîne aujourd’hui peut très bien demain le laisser libre ;

-       le meilleur de ce qu’un être humain accomplit, le plus beau, le plus généreux, le plus pur, ne peut jamais être totalement vain, même si celui qui l’accomplit n’en recueille aucun fruit ; autrement dit, il faut prêcher l’évangile en paroles et en actes, annoncer concrètement la résurrection ; et cela même si l’on n’en recueille aucun fruit, même si l’on ne recueille que quolibets ou indifférence ;

-        et ainsi, l’apparition du Christ ressuscité est le nom que l’on peut donner à cet événement, à ce parcours d’une vie lorsque cette vie a été renouvelée, et transformée ; rien de magique là-dedans, rien de fantastique et pourtant quelque chose d’infiniment beau, et d’infiniment simple.

Il en sera ainsi de nos vies. Amen


samedi 6 avril 2024

A ceux qui exigent tant (Jean 20,19-31)

Jean 20,19-31

19 Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des Juifs, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d'eux et il leur dit: «La paix soit avec vous.»

 20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie.

 21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit: «La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour je vous envoie.»

 22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit: «Recevez l'Esprit Saint;

 23 ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus.»

 24 Cependant Thomas, l'un des Douze, celui qu'on appelle Didyme, n'était pas avec eux lorsque Jésus vint.

 25 Les autres disciples lui dirent donc: «Nous avons vu le Seigneur!» Mais il leur répondit: «Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n'enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n'enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas!»

 26 Or huit jours plus tard, les disciples étaient à nouveau réunis dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vint, toutes portes verrouillées, il se tint au milieu d'eux et leur dit: «La paix soit avec vous.»

 27 Ensuite il dit à Thomas: «Avance ton doigt ici et regarde mes mains; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d'être incrédule et deviens un homme de foi.»

 28 Thomas lui répondit: «Mon Seigneur et mon Dieu.»

 29 Jésus lui dit: «Parce que tu m'as vu, tu as cru; bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru.»

 30 Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d'autres signes qui ne sont pas rapportés dans ce livre.

 31 Ceux-ci l'ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom.


Méditation : 

            Je voudrais commencer cette méditation par une question apparemment toute simple : que se passe-t-il lorsque nous mangeons quelque chose ?

            Lorsque nous mangeons, ce que nous mangeons est tout à fait à notre disposition, puisque nous le mangeons. Lorsque nous mangeons, nous sommes tout-puissants vis à vis de notre nourriture : elle existait, elle n’existe plus, elle n’existera plus qu’en nous et par nous.

             Lorsque nous mangeons, nous faisons l’expérience de la toute puissance…

            Et lorsque nous regardons un paysage ? En quoi un paysage est-il affecté par le fait que nous le regardions ? Et nous répondons, en rien : le plus puissant de nos sens, celui qui porte le plus loin, celui par lequel nous gérons le plus d’information… est celui par lequel nous faisons l’expérience d’une moindre puissance, voire de l’impuissance…

 

            Après ces premières indications, Thomas, Moïse, et la foi…

 

            Thomas est passé à la postérité… Son Je ne crois que si je vois est devenu Je ne crois que ce que je vois… C’est ce qui se dit. Mais Thomas voit comme il mange : c’est à dire qu’il exige de prendre et de saisir l’objet de sa foi, il veut incorporer l’objet de sa foi… Il dit à ses proches, et à ses lecteurs, que croire au ressuscité exige de le manger, et encore que croire en Dieu exige de manger Dieu.

            Nous pouvons tout à fait souscrire à ceci… mais pas totalement. Thomas est un homme seul, mais en face de lui il y a une communauté, il y a un groupe : la foi personnelle se conjugue avec la foi d’une communauté. Peut-être même que la foi personnelle n’est rien sans la foi d’une communauté…

           

            Repérons que la communauté des disciples, celle qui fait face à Thomas, fait  l’expérience de son impuissance : elle est enfermée à triple tour, en raison de la peur qu’elle a… Et bien qu’enfermée à triple tour, elle ne peut pas empêcher quelqu’un d’entrer : une affaire d’apparition, toute visuelle, toute dans le regard…

            Repérons aussi – et ça n’est pas rien – que le seul qui n’était pas là, serré contre les autres… est le seul qui ne profite pas d’emblée de cette apparition. Pourquoi n’était-il pas là ? Est-ce parce qu’il n’avait pas peur, ou bien est-ce parce qu’il avait si peur qu’il s’était terré le plus loin possible ? Est-ce parce qu’il croyait qu’il n’était pas là ? Ou bien est-ce parce qu’il ne croyait pas ?

            En tout cas, lorsqu’il arrive, il trouve un groupe de camarades qui lui disent : Nous avons VU le Seigneur…

            Bien entendu, ils l’ont vu – et ils l’ont entendu – et il a soufflé sur eux : même s’ils sont impuissant – parce que c’est VOIR – et ils ont incorporé collectivement –  – quelque chose qui les a – déjà un peu – transformés.

            Ceci dit, la réaction de Thomas prouve que quelque chose ne passe pas entre Thomas et les autres : la confession des disciples est-elle un peu arrogante ? (nous avons vu le Seigneur, nananère…) Thomas est-il désespéré, ou envieux ? En tout cas, son exigence de VOIR est une exigence de puissance. Thomas : « Je veux une apparition à MOI, MOI je veux toucher, et entrer comme si c’était chez moi … MOI je veux que l’objet de ma foi soit affecté par ma foi : je veux incorporer, je veux MANGER…

            Au comble de l’impuissance, Thomas demande la toute puissance.

 

            Et Moïse ? Comme Thomas, Moïse se fait un coup de blues… Au 33ième chapitre de l’Exode, on est déjà bien loin de l’Egypte… Et Moïse n’est plus certain d’être celui qui guide, il n’est plus certain que c’est le peuple élu… il n’est plus certain de rien : il prie comme prient les plus grand, il se lamente comme se lamentent les plus grands.

            Dans le dialogue avec Dieu, le véritable besoin de Moïse, l’un des plus profonds – si ce n’est le plus profond – des besoins humain – se révèle dans toute son acuité : MANGER… incorporer, faire sien ce à quoi l’on croit, savoir, posséder le Dieu qui nous crée, créer le Dieu qui vous crée : être tout puissant…

            Fais-moi voir ta gloire, et conserver, et posséder quelque chose de cette vision.

 

            Thomas, Moïse, et nous… dans une même demande parce que parfois dans une même lassitude, parce que la vie est parfois trop dure et que nos contemporains sont parfois des bourricots…

            Ou pour le dire autrement, proprement, parce que nous traversons tous parfois ce que Saint Jean de la Croix appelle la nuit obscure de l’âme

            Dans cette même demande donc,

 

            NOUS pourrions évoque cette difficulté de croire de plusieurs manières.

            Ne suffit-il pas à Moïse de tutoyer Dieu, de lui parler face à face ? Ne lui suffit-il pas d’avoir vu la puissance de Dieu à l’œuvre en Egypte et hors d’Egypte ? Ne lui suffit-il pas d’avoir vu la mer s’ouvrir, et se refermer ?

            Ne suffit-il pas à Thomas d’avoir partagé la vie et l’enseignement du Seigneur, d’avoir été l’un de ses familiers ? Ne lui suffit-il pas, le témoignage de ses amis ?

            Et bien Moïse en demande encore plus, l’énorme demande, “ fais-moi voir ta gloire ”… et Thomas en demande encore plus, “ je veux voir et je veux toucher… ”

            La question que nous posons maintenant, les concernant – et peut-être nous concernant aussi – est : Ne leur suffit-il pas… et chacun finira la phrase pour lui-même.

            Et Répondons aussi bien vite qu’à certains moments de l’existence, rien ne suffit… et que ça n’est pas forcément caprice.

 

            Ceci étant, il y a des caprices, et il y a des véritables demandes… osons même dire que sous tout caprice il y a une demande véritable… et la bonté de Dieu, la générosité du Christ vont faire sous nos yeux la part entre elles :

            NON, dit Dieu à Moïse…

            CHICHE, dit Jésus à Thomas…

            L’un comme l’autre recevra ce qu’il recevra, de la part de son Seigneur. L’un comme l’autre recevra le NON et le OUI… L’un comme l’autre consentira à son impuissance : le Seigneur ne se mange pas, car nous ne le possédons pas… Mais à l’un comme à l’autre il est signifié en substance par le Seigneur que le Seigneur se lie à nous.

 

            Tu pourras me voir de dos, dit le Seigneur à Moïse, étant bien entendu que c’est bien Moïse qui aura à dire ce qu’il aura vu : ceux à qui il le dira croiront, ou ne croiront pas, sur la foi d’un témoignage oral, gestuel, social…

            Alors heureux ceux qui, sans avoir vu, auront cru, dit le Seigneur à Thomas, manière de dire que c’est bien aussi par ce qui n’aura pas été signifié par le Seigneur qu’on recevra de croire en lui.

            Et nous revenons à la confession de la communauté : les autres disent Nous avons vu le Seigneur !

            Est-ce qu’ils doivent convaincre ? Ils ne le peuvent à l’évidence pas… S’ils le pouvaient, croire serait une obligation.

 

            Or la foi n’est pas quelque chose qu’on doit… pas plus que le Seigneur ne nous doit d'apparaître.

            Et pourtant, nous en avons la certitude – et c’est aussi notre engagement – il se trouve sur nos routes des occasions – qualifions-les de merveilleuses – des rencontres, des expériences, qui nous donnent de croitre, et de…croire…

            CHICHE, dit Jésus à Thomas…

            NON, dit Dieu à Moïse…

            Et c’est la même croissance.

 

            L’un et l’autre reprennent et poursuivent leur chemin… en quelque manière rassasiés.


samedi 30 mars 2024

Le silence et la muraille de la résurrection

Marc 16

1 Quand le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates pour aller l'embaumer.

2 Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vont à la tombe, le soleil étant levé.

3 Elles se disaient entre elles: «Qui nous roulera la pierre de l'entrée du tombeau?»

4 Et, levant les yeux, elles voient que la pierre est roulée; or, elle était très grande.

5 Entrées dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme, vêtu d'une robe blanche, et elles furent saisies de frayeur.

6 Mais il leur dit: «Ne vous effrayez pas. Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié: il est ressuscité, il n'est pas ici; voyez l'endroit où on l'avait déposé.

7 Mais allez dire à ses disciples et à Pierre: ‹Il vous précède en Galilée; c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit.› »

8 Elles sortirent et s'enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées; et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.

Prédication : 

            « Les femmes donc s’enfuirent et ne dirent jamais rien à personne, parce qu’elles avaient peur. » Et l’évangile de Marc s’arrête donc là. Et l’évangile de la résurrection selon Marc s’arrête là aussi. Il n’y a pas de résurrection…  Il n’y a pas d’apparition du ressuscité. Mais – question – pour que la résurrection soit attestée, faut-il des apparitions du ressuscité ? C’est une question qui a l’air de rien, mais elle traverse tout le paysage du nouveau testament, et pas que lui. Cette question s’infiltre aussi dans les textes relatifs à l’exil, dans des textes de la tradition prophétique... Faut-il des apparitions précisément documentées pour que l’action de la main de Dieu soit attestée dans l’histoire ?

            Oui ? Non ? En tout cas, si nous nous en tenons à la proposition de lecture d’évangile de ce jour – Marc 16,1-8 – le silence absolu des femmes sur cette affaire atteste que l’évangile de la résurrection passe par la lecture. L’évangéliste est d’abord un sujet écrivain, auquel fait suite un sujet lecteur. Et la foi vient alors de ce qu’on lit. Et ça peut très bien constituer une chaîne de transmission capable de traverser les siècles.

            Mais autre chose est possible, sous nos yeux, car après Marc 16,8 il vient Marc 16,9. Les savants nous disent que c’est un autre écrivain, qui fait d’autres choix. Parmi ces choix il fait celui de faire apparaître Jésus ressuscité. Peut-être cette, ou ces apparitions seront-elles reçues. Mais non. Même si de petites gens l’ayant vu croient en Jésus ressuscité ils se heurtent à l’incrédulité et à la dureté de cœur de gens d’importance. A la fin seulement Jésus ressuscité peut apparaître, donner des ordres d’évangélisation, puis retourner vers son père. Nous remarquons que ces derniers versets ressemblent à Matthieu. Mais notre question n’est pas cette ressemblance – un emprunt littéraire se voit toujours – notre question est celle de la pertinence pour l’évangile de la transmission par le silence, ou de la transmission par  l’apparition et la parole. Est-ce simple ?

 

            Lorsque j’étais jeune diplômé de la Faculté de Théologie, le contact approfondi avec certains auteurs m’avait conduit à  rechercher et à apprécier les textes complexes, paradoxaux, du genre justement de cette finale courte de l’évangile de Marc, « elles ne dirent rien à personne… » mais tout le monde en parle. La contradiction est là, elle devrait déboucher sur le vide, or, il n’en est rien. Bien que rien ne soit dit, l’évangile est proclamé. Il est proclamé en plénitude, et pourtant le vide initial demeure, il n’est jamais comblé et le défi qui est proposé au lecteur est précisément de parler sans obturer.

            L’évangile de Marc n’est pas le seul texte de référence qui propose ce genre de défi à son commentateur. Karl Barth, dans le recueil Parole de Dieu et parole humaine – rien que le titre est intéressant – propose plusieurs défis spirituels – dont un portant sur La parole de Dieu tâche de la théologie. Le défi n’est pas de résoudre ceci ou cela, mais d’écrire de sorte que nous puissions continuer à écrire, de parler de sorte que nous puissions continuer à parler. Le témoignage chrétien est une parole qui se cherche des auditeurs, puis de libres partenaires pour se continuer. Mais quant à savoir d’où elle vient réellement et où elle va, c’est juste impossible de le dire. Et c’est là sa faiblesse, aussi bien que c’est là sa grandeur.          

           

            Lorsque j’étais étudiant en théologie, un professeur eut l’idée de confronter ses étudiants à des œuvres picturales célèbres, qui représentaient des scènes bibliques. La conversion de Paul – il y en a deux versions si je me souviens bien – Abraham sacrifiant, et La crucifixion de Pierre, œuvres de Caravage, sauf oubli de ma part, ce qui faisait déjà pas mal. C’est donc de l’image, d’une puissance certaine, parce que c’est Caravage, et la toile est couverte, tout y est signifiant, et tout y est brutalement exprimé. La page d’évangile, ou la parole de Dieu, est rendue par l’artiste comme une sorte de coup. L’exercice proposé à l’étudiant était de mettre des phrases cohérentes sur des objets brutaux, sans toutefois mettre en avant ses propres émotions, faute de quoi l’écriture et la parole, ne pourraient pas continuer. Et nous parlons là justement de ces choses, apparitions massives du genre que nous avons évoquées s’agissant de la résurrection visible de Jésus.

            Vous vous demandez comment cela s’était passé ? Mal. La proposition faite par ce professeur n’avait pas été reçue par les étudiants, pas reçue du tout. Ça n’était pas de la mauvaise volonté. Mais il existe une forme particulière du langage pour parler de l’esthétique, de l’art et des œuvres d’art, que lui – professeur – connaissait, et que nous, étudiants 83 boulevard Arago – petite province – ne connaissions pas. Et  le langage donc s’était heurté contre un mur, un mur contre un autre mur, et pour produire quoi ?

 

            Et bien, visible contre visible, nous ne pouvons pas porter de jugements trop tranchés. Le groupe qui participait à ce cours est dispersé depuis longtemps – 28 ans. Et nous n’avons pas l’habitude non plus, dans notre tradition, de faire se rassembler des anciens élèves de nos facultés. Alors que reste-t-il de ce cours dont nous parlons ? Il reste – il me reste – des souvenirs robustes et féconds, une petite connaissance en peinture, et l’idée justement que la parole de Dieu qui peut prendre la voie aérienne, silencieuse, et discrète peut aussi prendre la voie « dure », et là elle prend son temps. Et la résurrection que nous célébrons aujourd’hui était bien peu au commencement, dans les années du temps jadis, mais est plus claire maintenant.

            Christ est ressuscité. Amen     


samedi 23 mars 2024

Méditations sur le Messie (Marc 11,1-11 ; Zacharie 9,1-11)

 Marc 11

1 Lorsqu'ils approchent de Jérusalem, près de Bethphagé et de Béthanie, vers le mont des Oliviers, Jésus envoie deux de ses disciples

2 et leur dit: «Allez au village qui est devant vous: dès que vous y entrerez, vous trouverez un ânon attaché que personne n'a encore monté. Détachez-le et amenez-le.

3 Et si quelqu'un vous dit: ‹Pourquoi faites-vous cela?› répondez: ‹Le Seigneur en a besoin et il le renvoie ici tout de suite.› »

4 Ils sont partis et ont trouvé un ânon attaché dehors près d'une porte, dans la rue. Ils le détachent.

5 Quelques-uns de ceux qui se trouvaient là leur dirent: «Qu'avez-vous à détacher cet ânon?»

6 Eux leur répondirent comme Jésus l'avait dit et on les laissa faire.

7 Ils amènent l'ânon à Jésus; ils mettent sur lui leurs vêtements et Jésus s'assit dessus.

8 Beaucoup de gens étendirent leurs vêtements sur la route et d'autres des feuillages qu'ils coupaient dans la campagne.

9 Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient: «Hosanna! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient!

10 Béni soit le règne qui vient, le règne de David notre père! Hosanna au plus haut des cieux!»

11 Et il entra à Jérusalem dans le temple. Après avoir tout regardé autour de lui, comme c'était déjà le soir, il sortit pour se rendre à Béthanie avec les Douze.

Zacharie 9

1 Proclamation. La parole du SEIGNEUR est arrivée au pays de Hadrak, et à Damas elle a fait halte, car au SEIGNEUR appartient le joyau d'Aram tout comme l'ensemble des tribus d'Israël,

2 de même Hamath, sa voisine, ainsi que Tyr et Sidon, où l'on est très habile.

3 Tyr s'est construit une forteresse, elle a accumulé de l'argent, épais comme la poussière et de l'or, comme la boue des rues,

4 mais voici que le Seigneur s'en emparera, il abattra son rempart dans la mer, et elle-même, le feu la dévorera.

5 À ce spectacle, Ashqelôn sera épouvantée, Gaza se tordra de douleur et Eqrôn se verra privée de son appui. Le roi sera éliminé de Gaza et Ashqelôn ne sera plus habitée.

6 Des bâtards s'installeront à Ashdod, je rabattrai l'insolence du Philistin.

7 J'ôterai de sa bouche le sang et d'entre ses dents, les mets abominables; alors lui aussi, comme un reste, appartiendra à notre Dieu. Il aura sa place parmi les clans de Juda et Eqrôn sera pareil au Jébusite.

8 Je camperai auprès de ma maison, montant la garde contre ceux qui passent et repassent; plus aucun tyran ne l'accablera au passage car, à présent, j'y veille de mes propres yeux.

9 Tressaille d'allégresse, fille de Sion! Pousse des acclamations, fille de Jérusalem! Voici que ton roi s'avance vers toi; il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne - sur un ânon tout jeune.

10 Il supprimera d'Ephraïm le char de guerre et de Jérusalem, le char de combat. Il brisera l'arc de guerre et il proclamera la paix pour les nations. Sa domination s'étendra d'une mer à l'autre et du Fleuve jusqu'aux extrémités du pays.

11 Quant à toi, à cause de l'alliance conclue avec toi dans le sang, je renverrai tes captifs de la fosse où il n'y a point d'eau.

Prédication : 

            Dans l’évangile de Marc – comme dans les trois autres évangiles – Jésus fait, une semaine avant sa mort et sa résurrection, une entrée glorieuse à Jérusalem, monté sur un âne. Jésus lui-même est à l’initiative de ce défilé. Il en choisit la mise en scène. Elle obéit à un schéma qui figure dans l’ancien testament : livre de Zacharie, chapitre 9. En faisant ce choix, Marc entend nous dire comment il comprend le messie Jésus. Car il y a, dans la Bible, de nombreuses manières d’être messie.

            Dans l’ancien testament, un puissant souverain étranger, aussi étranger à Israël que le Perse Darius (Esaïe 45), peut être considéré comme messie. Un roi autochtone aussi mauvais que le roi Saül est aussi messie. L’inoubliable roi David sera appelé messie, son fils rebelle et tenté par le parricide, Absalom, messie tout autant...

En plus – voire en moins – un messie parfois peut ne concerner, qu’une ethnie, voire qu’une tribu, mais parfois tout Israël. Et parfois plus encore. Car cela peut dépasser des frontières, voire couvrir la terre entière, avec parfois une centralisation sur Jérusalem et le Temple, mais parfois avec une totale égalité entre toutes les nations.

Pour dire vrai, le messie connait dans l’ancien testament autant de variantes qu’il y a de formes du salut. Le nouveau testament n’est pas non plus univoque sur le messie Jésus. Considérez seulement le Messie triomphant en Apocalypse 19 (un glaive acéré sort de sa bouche, il se nomme Roi des rois, Seigneur des Seigneurs) et le Messie crucifié en Marc 15 (et au Psaume 22), qui hurle son sentiment d’abandon à la face des humains et sous un ciel désespérément vide.

 

            L’Évangile de Marc, 11, fait référence à Zacharie 9. Le messie, en Zacharie 9, comment est-il ? Il est provincial, au plus régional. Avant même qu’il soit question du messie, il est proclamé que tous ces territoires appartiennent à Dieu, et que sa parole y agit. Ainsi, le nord du pays (Phénicie), l’est (Aram), la bande côtière ouest (Philistie) vont-ils être objets d’un mystérieux ravage, opéré par la parole du SEIGNEUR – il faut entendre par Dieu lui-même – dont l’issue est extraordinairement étonnante puisqu’au terme de ce ravage, le Philistin – avec tous les autres – sera considéré comme un « reste », et « aura sa place parmi les clans de Juda » (v.7), c'est-à-dire que les nations voisines et ennemies perpétuelles des enfants d’Israël seront considérées par Dieu comme sa terre, son peuple. Elles sont donc cohéritières de la promesse.

 

Quelle promesse ? Une promesse de sanctuarisation d’un grand Israël : de la Méditerranée jusqu’au bassin de l’Euphrate, de la Syrie et du Liban jusqu’au Golfe d’Aden. Sur ce grand territoire sera instaurée une paix éternelle, et la diaspora juive y reviendra tout entière. Comme centre de ce grand territoire, Jérusalem. Et comme roi de ce territoire, le Messie.

            Marc emprunte ainsi à Zacharie une certaine idée territoriale et politique de l’ère du Messie : fraternité paisible entre des peuples voisins, une forme d’unité religieuse, une capitale. On peut penser qu’à l’époque de Zacharie, les territoires qu’il mentionne correspondent à tous les territoires connus. Marc, reprenant Zacharie, imaginant alors une messianité universelle, fraternelle et paisible.

 

Mais quel Messie pour cela ? Nous avons lu qu’il s’avance, « juste et victorieux, humble, monté sur un âne » (v.9). Qu’il soit monté sur un âne met d’accord tous les traducteurs. Mais les trois qualificatifs posent quelques problèmes. Nous partons de ce que nous avons lu, le Messie est  juste, victorieux et humble. Et nous approfondissant le sens de ces trois termes.

            Il est juste. Le premier homme de la Bible dont il est dit qu’il est juste, c’est Noé. Un juste, c’est quelqu’un qui ne tord pas le cours de la justice, qui juge sans discrimination, qui ne fausse pas les poids dans le commerce, et qui refuse de se laisser corrompre. Il est sans fraude et sans violence. Tel est le juste, tel est le Messie selon Marc. Les qualités du juste sont longuement mentionnées dans les Psaumes et dans les livres de sagesse. Et ces qualités en font quelqu’un de fragile, de vulnérable. Il est écrit dans la Bible que le juste est souvent la risée des hommes (Job 12,4). Le problème du juste souffrant est un problème qui a tourmenté les auteurs du proche Orient ancien longtemps avant que la Bible n’existe. Le Messie selon Zacharie est juste – une qualité qui va de pair avec une infinie fragilité. On y pense un peu, ou souvent, lorsqu’on lit le récit des Rameaux.

            Seconde qualité du Messie selon Zacharie (et Marc) : il est victorieux, d’après la plupart des traducteurs. Mais nous nous méfions des traducteurs. A bien y regarder, le mot victorieux est clair en grec (LXX), mais moins en hébreu. Le roi messie qui vient n’a pas remporté la victoire par ses propres forces ; littéralement, il a été sauvé. Le roi messie est victorieux, soit, mais parce qu’il a été sauvé. On ne dit pas par qui… et l’on irait bien trop vite en besogne en mettant là qu’il a été sauvé par Dieu. Le Messie a été sauvé. Seconde marque de fragilité à laquelle on ne pense jamais en lisant le récit des Rameaux.

            Troisième qualité du Messie, nous avons lu qu’il est humble. Ce serait mieux de dire méprisé. Le Messie est semblable à ce que le peuple d’Israël était en Egypte. C'est-à-dire fort peu de chose, vulnérable, livré à ses dominateurs, sans gloire, sans droits. On ne pense pas à ça en lisant le récit des Rameaux.

            La royauté du roi Messie selon le prophète Zacharie – et selon Marc la royauté du Fils de l’homme, est ce qu’on peut appeler une royauté faible, sa force est une force désarmée, elle s’avance pour se proposer, pour s’offrir, elle appelle, mais jamais elle ne s’impose d’elle-même... et comment le pourrait-elle ? C’est à cette royauté que Jésus est identifié le jour de son entrée dans Jérusalem, monté sur un âne. Comment cette royauté pourrait-elle l’emporter ? Pourvu que quelques-uns répondent à l’appel. Mais l’appel est si faible, si ténu…

 

            Ont-ils eu conscience de tout cela, les gens qui, pleins de joie, ont suivi la procession ? Le texte de Marc ne fait aucun commentaire. Il laisse là l’événement. Le moment de liesse a eu lieu. Marc prend acte de cette liesse, comme si elle était juste et légitime : pourquoi la foule des disciples et le peuple ne se réjouiraient-ils pas ? Et de quel droit des observateurs éclairés comme nous le sommes leur adresseraient-ils un reproche ?           Il y a de la joie le jour des Rameaux, « Au cœur humain la joie est bonne ». Et pour ce qu’il en est des grands engagements suivis des lâchetés que nous savons, il y a toute la semaine sainte.

 

            Mais tous ces gens qui ont escorté Jésus, qu’ont-ils fait, ensuite ? Nous ne le savons pas. Feu de paille pour certains, conversion durable pour d’autres, et toutes sortes de nuances sont possibles. Ils sont rentrés chacun chez soi, sans doute. Et la journée s’est finie là, et tout le monde est allé dormir.

Pour nous qui avons médité sur la signification de l’entrée de Jésus ans la ville, qui avons compris un peu quelle royauté va avec sa messianité, il nous reste quelques question : allons-nous suivre ce roi-là ? Allons-nous être habités par les sentiments qui étaient les siens ? Allons-nous faire montre d’humilité et de douceur ? Allons-nous nous reconnaître comme sauvés ? En somme, allons-nous incarner cette messianité  (il est juste, il est victorieux, il est humble) ?

Laissons ces questions en suspens. A chacun de répondre en son cœur. Puissions-nous répondre chacun et tous ensemble par un oui résolu. Amen






samedi 9 mars 2024

Quelques notes sur le ministère diaconal (Actes 6,1-8)


Actes 6

1 En ces jours-là, le nombre des disciples augmentait, et les Hellénistes se mirent à récriminer contre les Hébreux parce que leurs veuves étaient oubliées dans le service quotidien.

 2 Les Douze convoquèrent alors l'assemblée plénière des disciples et dirent: «Il ne convient pas que nous délaissions la parole de Dieu pour le service des tables.

 3 Cherchez plutôt parmi vous, frères, sept hommes de bonne réputation, remplis d'Esprit et de sagesse, et nous les chargerons de cette fonction.

 4 Quant à nous, nous continuerons à assurer la prière et le service de la Parole.»

 5 Cette proposition fut agréée par toute l'assemblée: on choisit Étienne, un homme plein de foi et d'Esprit Saint, Philippe, Prochore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, prosélyte d'Antioche;

 6 on les présenta aux apôtres, on pria et on leur imposa les mains.

 

 7 La parole de Dieu croissait et le nombre des disciples augmentait considérablement à Jérusalem; une multitude de prêtres obéissait à la foi.

 8 Plein de grâce et de puissance, Étienne opérait des prodiges et des signes remarquables parmi le peuple.

Prédication :  

            Et c’est ainsi que fut inventé le ministère des diacres, et donc le diaconat, parce que certaines personnes avaient estimé que les pauvres veuves chrétiennes d’origine grecque étaient moins bien traitées que les autres pauvres veuves, veuves d’origine hébraïques… comprenez que les grecques recevaient beaucoup moins de nourriture que les autres, voire pas du tout. Était-ce vrai ? C’est du moins ce qui fut mis en avant. Et c’est aussi ce qui est mis en avant pour fonder bibliquement  la diaconie et le diaconat… donner de son bien propre à l’intention de ceux qui autrement seraient dans le dénuement. Et c’est tout, pourvu que le partage soit équitable – pourvu qu’on s’entende sur la notion d’équité.

            Notion certainement délicate, puisqu’on fit appel d’abord au discernement des hommes, puis à l’approbation des Apôtres, puis enfin à l’Esprit Saint. Peut-être qu’avec tout cela le partage serait équitable… à moins que, avec tout cela, les diacres seraient incontestables, les diverses manœuvres spirituelles constituant une garantie. Alors, est-ce que ça marcherait ?

            La réponse c’est non, ça ne marcherait pas. Derrière les Actes des Apôtres c’est Luc qui écrit. Et contrairement à ce qu’on croit, Luc n’écrit jamais pour instituer ceci ou cela. Luc écrit pour inviter à réfléchir, et son invitation est souvent exigeante.

            L’institution des Diacres va-t-elle tenir ? Nous n’en savons rien, sauf que nous savons que l’un d’eux, Etienne, va s’exprimer en Apôtre, tâche que les Apôtres s’étaient réservée, et que, sans aucune ordination spécifique, il va accomplir en un sens mieux qu’eux, au point de devenir le premier martyr de l’histoire. Et l’on pourrait dire exactement la même chose de Philippe. Et ce que Luc suggère, c’est que l’Esprit Saint vient oindre ces ministres apostoliques indépendamment de la volonté des Apôtres.

            Et qu’en est-il à ce moment des Diacres ? Nous l’avons dit déjà ? Ils disparaissent du paysage de la première église. Réguler un partage intégral ne devait pas être facile. Le très nécessaire ministère du partage entra en collision avec le très nécessaire ministère de la parole… Ce qui imposait une réflexion très sérieuse, une grande quantité de pourquoi, à la manière de Luc.

 

            Passent les années, les millénaires, arrive Jean Calvin, qui propose qu’il y ait quatre ministères dans l’Eglise : des Docteurs, des Pasteurs, des Anciens, et des Diacres. Ce ministère selon Calvin est construit sur une double activité, assurer la subsistance de pauvres gens, et enseigner la foi à ces pauvres gens. C’est donc une sorte de ministère de la parole spécialisé – et pensez que la langue en ce temps-là est bien moins unifiée qu’aujourd’hui, et que la pauvreté est plus féroce qu’aujourd’hui aussi. Aussi pouvons-nous apprécier que ces deux ministères sont inséparables… et trouver là la racine d’un constat : les Réformés sont incapables de produire un texte de théologie qui ne finisse pas par des considérations éthiques.

 

            Passent encore quelques siècles. En 1938, une partie des Protestants se réunit dans l’Eglise réformée de France, et se donne une Discipline. Je ne résiste pas au plaisir de vous montrer l’article 14 de cette discipline – Du ministère  diaconal. C’est vite lu, « modifié en 1999 ».

            Le temps passe, c’est l’avènement de l’Eglise Protestante Unie de France, 2012 / rév. 2019, article 19 – Ministère diaconal. « La rédaction de cet article pourra faire l’objet ultérieurement des travaux du synode national, selon la procédure mentionnée à l’article 36 (révision de la Constitution) »

 

            Aujourd’hui, pour autant que je sache, aucun synode national n’est programmé qui aurait pour tâche la rédaction de cet article. Nous parlons « ministères », mais pas diaconal – si je ne me trompe pas. Ce qui n’est pas le signe d’une coupable négligence, mais bien plutôt le signe du difficile nouage qui existe entre la spiritualité et la charité, entre la parole apostolique et le garde-manger. Et parfois mieux vaut une page blanche qu’une page mal remplie.

            Deux choses encore :

-       En ligne, https://epudf.org/diaconie/, quelques lignes tout à fait intéressantes et qui pourraient faire l’objet de réflexions partagées, genre atelier du samedi ;

-       Statuts types des associations cultuelles §5 – « Conformité avec la loi du 9 décembre 1905 » Pour mettre son régime traditionnel en accord avec la loi du 9 décembre 1905, l’Eglise protestante unie de France invite les membres d’une paroisse ou Eglise locale à adhérer et à participer à une association cultuelle, régie par le titre IV de cette loi, ainsi qu’à une ou plusieurs associations à vocation diaconale,

-       Votre action, en somme, précède vos institutions ; et c’est très bien ainsi.

samedi 2 mars 2024

Moïse, entre le don de la Loi et une suite pénible

Voici des versets bien connus, mais c'est au v.18 que notre affaire commence  

DRB  Exode 20  1 Et Dieu prononça toutes ces paroles, disant:

2 Je suis l'Éternel, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de servitude.

3 Tu n'auras point d'autres dieux devant ma face.

4 Tu ne te feras point d'image taillée, ni aucune ressemblance de ce qui est dans les cieux en haut, et de ce qui est sur la terre en bas, et de ce qui est dans les eaux au-dessous de la terre.

5 Tu ne t'inclineras point devant elles, et tu ne les serviras point; car moi, l'Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui visite l'iniquité des pères sur les fils, sur la troisième et sur la quatrième génération de ceux qui me haïssent, 6 et qui use de bonté envers des milliers de ceux qui m'aiment et qui gardent mes commandements.

7 Tu ne prendras point le nom de l'Éternel, ton Dieu, en vain; car l'Éternel ne tiendra point pour innocent celui qui aura pris son nom en vain.

8 Souviens-toi du jour du sabbat, pour le sanctifier. 9 six jours tu travailleras, et tu feras toute ton œuvre; 10 mais le septième jour est le sabbat consacré à l'Éternel, ton Dieu: tu ne feras aucune œuvre, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ta bête, ni ton étranger qui est dans tes portes. 11 Car en six jours l'Éternel a fait les cieux, et la terre, la mer, et tout ce qui est en eux, et il s'est reposé le septième jour; c'est pourquoi l'Éternel a béni le jour du sabbat, et l'a sanctifié.

12 Honore ton père et ta mère, afin que tes jours soient prolongés sur la terre que l'Éternel, ton Dieu, te donne.

13 Tu ne tueras point.

14 Tu ne commettras point adultère.

15 Tu ne déroberas point.

16 Tu ne diras point de faux témoignage contre ton prochain.

17 Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain; tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni rien qui soit à ton prochain.

18 Et tout le peuple vit les tonnerres, et les flammes, et le son de la trompette, et la montagne fumante; et le peuple vit cela, et ils craignirent et se tinrent à distance, et dirent à Moïse:

19 Parle avec nous, toi, et nous écouterons ! Mais que Dieu ne parle point avec nous, sinon c’est la mort.

20 Cependant, Moïse dit au peuple:

Ne craignez pas; car

c'est afin que vous en passiez par l’épreuve (la tentation) que Dieu vient,

et afin que vous en passiez par la crainte, que cette crainte soit devant vos yeux,

 

pour que pécher n’existe plus en vous.

 

21 Mais le peuple se tint à distance; quant à Moïse, il s'approcha de l'obscurité profonde où Dieu se tient.

            Prédication

        Commençons avec ces gens qui ont laissé dans la Bible une trace pénible. Pour toutes les transgressions possibles des commandements, ils n’ont envisagé qu’une seule peine, toujours la même peine, la mort. Ainsi avons-nous des pages entières qui commandent l’effacement de vies…

            Sinaï, le peuple craint, il a peur. Il s’adresse à Moïse pour lui dire : « Parle avec nous, toi, et nous écouterons. Mais que Dieu ne parle pas avec nous, sinon c’est la mort. »

            Et le lecteur de s’étonner. Juste après que Dieu ait parlé, juste après qu’il ait donné dix commandements essentiels, viatiques, voici que le peuple ne veut pas entendre directement la divine parole, sous peine de mourir, ou du moins le croit-il, et opte pour une parole humaine. Le peuple de Dieu a peur de Dieu. Et nous savons que, dans peu de temps, il va préférer se fabriquer un dieu d’or, une idole morte, qu’il va préférer s’asservir à une statue fabriquée et qu’il voit, plutôt qu’être libéré par Dieu qu’il ne voit pas. Mais c’est une autre histoire. Pour l’heure, le peuple a peur de Dieu qui parle et préfèrerait entendre une parole dite par un être humain… Parle avec nous, toi, dit le peuple à Moïse, et nous écouterons ! (Comme si ça devait changer quelque chose)

 

            Nous nous intéressons à ce que Moïse répond. Moïse bien évidemment va tenter de conjurer cette crainte. Sera-t-il écouté, tout comme le peuple semble le lui promettre ?

            1.

            Péril réel, péril imaginaire ? Moïse, lui n’a pas peur. Il prend le risque de dialoguer avec Dieu, et il n’en meurt pas. Est-il le seul que Dieu épargne, parce qu’il est Moïse ? Lorsque, dans les chapitres qui précèdent notre lecture, on se prépare au don de la Loi, on balise le pied de la montagne, et on recommande que le peuple ne s’en approche pas, de peur que certains ne meurent. Certains, mais pas tous. Ce qui signifie qu’au sein du peuple, il y a des personnes, anonymes complets, qui pourraient bien s’approcher, entendre et ne pas mourir. Il y a des risques qu’il faut prendre, parfois… Le péril avec Dieu n’est peut-être pas si grand. On peut entendre la parole de Dieu et ne pas mourir. Cela ne signifie pas pour autant qu’entendre la parole de Dieu laisse indemne. Nous y venons.

           2.

            Moïse parle de nouveau : « C’est afin que vous en passiez par l’épreuve (la tentation) que Dieu vient. »

            Ce n’est pas du tout par hasard que ce propos vient juste après que les dix commandements aient été donnés.

Les dix commandements sont parole de Dieu, ils éprouvent l’auditeur, et le lecteur. Qui tient debout devant les dix commandements ? Est-ce que quelqu’un peut dire qu’il n’a jamais transgressé aucun des commandements ? Les commandements interrogent l’être humain tout entier. Ils interrogent ses pensées et ses intentions ; ils interrogent les paroles prononcées, et celles aussi qui sont tues ; ils interrogent les actes, et même ceux qui n’ont pas été commis. En cela, les commandements nous mettent à l’épreuve. Et en cela ils sont, littéralement, parole de Dieu.

Personne ne tient debout devant les dix commandements. Faut-il craindre de ne pas tenir debout ? Moïse affirme que non, il affirme que Dieu vient, que Dieu parle, pour qu’on en passe par l’épreuve et par la tentation. La parole de Dieu nous démasque, elle sonde les reins et les cœurs, interroge radicalement les actes et les pensées, mais la vérité de ce qu’est un être humain n’est pas mortelle devant Dieu. On peut prendre le risque de ne pas fuir cette vérité-là.

            3.

            Il y a pourtant quelque chose de la crainte, et Moïse rajoute donc : « Dieu vient afin que vous en passiez par la crainte, que cette crainte soit devant vos yeux. » Il y a plusieurs sortes de crainte. Ici, la crainte du peuple, c’est celle qui fait redouter la parole de Dieu. C’est la crainte du menteur, la crainte de celui qui se ment à lui-même et ne veut rien savoir de son mensonge. Elle est une crainte qui fige.

La crainte qui fait désirer la parole de Dieu, celle que Moïse recommande, est au contraire l’espérance confiante de la vérité. Elle est l’espérance que cette parole nous traverse, nous dépouille, nous renouvelle et nous fasse choisir la vie, une vie dont les contours demeurent à bâtir et les chemins à découvrir.

            4.

            Et Moïse ajoute une chose encore : Dieu vient et parle afin que pécher  n’existe plus en vous. Qu’est-ce que pécher, dans ce contexte ? Pécher, dans le contexte de l’Exode, c’est se tenir mordicus à ce qui fut, sans rien vouloir mettre en question, ni en jeu. Pécher, c’est préférer mourir en Egypte et en esclave, plutôt que vivre une liberté confiante, et toujours interrogée. Pécher, c’est enfin préférer la parole extérieure d’un homme à qui l’on peut toujours dire « Tais-toi ! » ou « Cause toujours… » à la parole intérieure de Dieu qui met à nu devant soi-même et devant lui. Pécher, c’est ainsi préférer le soi-disant silence de Dieu à sa parole.

 

Et que fait le peuple, une fois que Moïse lui a expliqué pourquoi la crainte est sans fondement et sans objet ? Le peuple l’écoute-il, tout comme il s’y est engagé ? Les gens du peuple s’approchent-ils ? Lisons : « 21 Mais le peuple se tint à distance (…) » 

Le peuple, collectivement, choisit la crainte, l’illusion, le mutisme… la servitude. Quant à Moïse, résolument, en témoin de la bonté et de la vérité de la parole de Dieu, ayant dit ce qu’il avait à dire, choisit de ne rien faire d’autre que ce qu’il a déjà fait : s’approcher de Dieu et s’en remettre à Lui : « (…) il s'approcha de l'obscurité profonde où Dieu se tient. »

 

Dieu se tient dans l’obscurité profonde, et il n’est pas un Dieu obscur, c’est même tout le contraire.

Dieu se tient dans l’obscurité profonde, c’est une confession de foi :

 

Mon Dieu se tient dans l’obscurité profonde,

Il m’attend dans l’obscurité profonde,

Là où – et lorsque – ayant délibéré, choisi, et agi,

Après avoir fait tout ce qu’il est possible de faire,

Je ne peux plus qu’attendre.

C’est l’obscurité profonde, ce qui adviendra.

Je crois que Dieu se tient là, et m’attend.

C’est donc sans crainte que je m’approche.

Il est dans l’obscurité profonde et connait mes chemins,

Amen.